Contre-Argumentaire
1er contre-argumentaire: Le Front National et la sortie de l'euro
Contre le Fnational vous propose des contres-argumentaires vous permettant de comprendre un peu mieux le fond du programme de Mme Le Pen. 20 fiches techniques vous permettant de décrypter tout ce qui se dit, tous les mensonges, toutes les inepties.
C'est la clé de voûte du programme économique du Front national : le retour au franc, sur la base d'un euro égale un franc. Une mesure qui semblait encore totalement exotique il y a trois ans, mais que la crise de l'euro, depuis mai 2010, a rendue un peu plus crédible. Plutôt que de jouer uniquement sur le levier budgétaire (via des politiques d'austérité), le gouvernement reprendrait ainsi le contrôle de l'instrument monétaire, et pourrait dégainer une arme massue : la dévaluation.
En laissant chuter (de 20%, dit le FN) le franc par rapport à l'euro (ou ce qu'il en resterait ?), on baisse les coûts de fabrication des produits fabriqués en France. On améliore donc la compétitivité de l'industrie, sans toucher aux salaires... De quoi sortir la France de la croissance molle, et, par ricochet, faire baisser le chômage, espère le parti. En somme, en quittant le corset d'un euro surévalué, indexé sur l'ancien mark allemand, l'économie française reprendrait des couleurs d'un seul coup. Le retour au franc, que du bon sens ?
Selon une écrasante majorité d'économistes, la sortie de la France de la zone euro s'avérerait être en fait un pari extrêmement dangereux. Dans la dernière version de ses propositions, le FN a effacé certaines des perles que contenait son «plan de sortie de l'euro en 12 étapes», dévoilé il y a un an environ, depuis retiré de son site. A l'époque, le parti s'attardait par exemple sur les montants des nouveaux billets libellés en franc qui seraient disponibles, à des kilomètres des véritables enjeux que poserait une sortie de la France de l'euro... Il semblerait donc que le FN ait intégré certaines des critiques portées, à l'époque, par l'économiste Jacques Sapir, favorable lui aussi à la sortie de la France de l'euro, mais qui avait regretté «le grand amateurisme» du FN sur ces enjeux. Malgré ce toilettage, le projet du FN continue de poser quatre grands difficultés.
1 - De l'«inflation importée». Marine Le Pen ne cesse de dire que l'euro a fait grimper les prix, et affaibli le pouvoir d'achat des Français. Mais la dévaluation du franc, par rapport à l'euro et au dollar, va faire exploser la facture de beaucoup de biens importés (l'électronique, la téléphonie, etc.) et surtout de l'essence (les barils de pétrole étant libellés en dollar). Loin d'être une bonne opération pour les petits portefeuilles. Le risque inflationniste existe, avait reconnu Jean-Richard Sulzer, conseiller économique du FN, dans un entretien à Mediapart, en mai 2011.
2 - Quid de la dette française, libellée en euro ? Mécaniquement, en cas de retour au franc, puis de dévaluation, le fardeau de la dette grimperait encore un peu plus, puisque les détenteurs étrangers de la dette française continueraient de réclamer leur montant en euro... Les taux d'intérêt des emprunts français grimperaient. Si l'on en croit le think tank Terra Nova, proche du PS, cela pourrait coûter cinq milliards d'euros supplémentaires, pour le budget de l'Etat, dès 2013.
Le FN tente de répondre à cette objection dans son programme : «Une taxation exceptionnelle des actifs extérieurs libellés en euro détenus par les banques sera établie pour compenser les coûts pour l'Etat de sa dette résiduelle en euro» (point 7).
3 - Sortir de l'euro constitue «un défi technique», reconnaît aussi le FN. Une manière polie de dire qu'il s'agirait d'un grand saut dans l'inconnu. Si la France, deuxième économie de la zone euro, décide de sortir de cette union monétaire, l'avenir de la zone euro serait fortement hypothéqué. A court terme, affolement des marchés et récession sur l'ensemble de la région (lire sur ce point notre article symétrique sur une éventuelle sortie de la Grèce de l'euro, publié en novembre 2011).
Toujours selon Terra Nova, qui s'appuie sur des projections de banques privées (UBS), si l'on cumule les coûts de l'inflation, des intérêts de la dette et du retour de la récession, cette sortie de l'euro coûterait 50 milliards d'euros d'ici 2017 à l'économie française. Des calculs extrêmement difficiles à recouper, même si la grande majorité des économistes s'accordent pour prévoir une récession en France en cas de retour au franc, à court terme (et malgré la dévaluation).
4 - Reste que le scénario proposé par le FN semble extrêmement amateur, même aux yeux d'économistes (de gauche) favorables, eux aussi, à un retour au franc. Contrairement à son père, qui imaginait une voie en solitaire, Marine Le Pen décrit une sortie de l'euro réalisée conjointement avec plusieurs Etats, à commencer par l'Allemagne. Ce qui semble déjà plus pertinent sur le fond (même si très peu probable, dans les faits...). Mais rien n'est prévu pour éviter le retour à la spéculation sur les changes, qui existait en Europe avant l'euro, et qui pourrait dès lors resurgir.
Des économistes comme Jacques Sapir plaident pour des accords bilatéraux, de «non-agression», entre plusieurs Etats qui sortiraient ensemble de la zone euro. Par exemple entre la France, l'Espagne et l'Italie, trois économies qu'il juge plutôt concurrentes, et qui auraient tout intérêt à se protéger entre elles. Il faudrait donc, si l'on comprend bien, remplacer une union monétaire, par une série d'accords monétaires bilatéraux, qui limiteraient les marges de manœuvre et la souveraineté de chacun... Marine Le Pen ne voudra sans doute pas en entendre parler.
Le Front National, un parti à côté de la plaque...
Réalisé conjointement avec Médiapart.
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2ème contre-argumentaire: Le Front National et la dette
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Le Front national a concocté un volumineux document fait de graphiques pour convaincre de sa capacité à prendre au sérieux la question de l’endettement public .Concernant ce plan de désendettement, tout le raisonnement de Marine Le Pen repose sur une autre de ses mesures phare : la sortie de la zone euro. C'est un scénario à de multiples inconnues, aujourd'hui impossible à chiffrer, ce qui fragilise d'entrée de jeu ce plan de désendettement. Il l'est d'autant plus que l'autre levier avancé par le Front national, et qui doit dégager des ressources budgétaires, est... la lutte contre l'immigration. Enfin, ce chiffrage a été remis en question, y compris par le numéro 2 du parti, Louis Aliot.
La candidate frontiste pense, comme la plupart de ses concurrents – le fameux «UMPS» qu'elle vilipende sans cesse – que la dette est un danger pour l'économie française. Pour elle, il n'y a que de mauvaises dettes et le déficit ne peut être un levier de relance économique. Elle pourfend d'ailleurs dans son programme le «système keynésien de surendettement»... Il n'est donc pas question d'engager une politique de relance, mais bien au contraire de conduire une purge dans les comptes publics, accompagnée d'une restructuration de la dette.
La leader frontiste veut réduire à zéro le déficit d'ici 2018, soit deux ans après Nicolas Sarkozy et un an après François Hollande. Parmi les moyens figurent jusqu'à 70 milliards d'euros d'économies. Il s'agirait donc d'engager un plan de rigueur jusqu'à trois fois supérieur à ceux des candidats UMP et PS. De ces 70 milliards d'euros, surgit un chiffre miracle parfaitement fantaisiste : 40 milliards pour les seules dépenses liées à l'immigration, et la sortie de la zone euro.
La sortie de la zone euro doit justement permettre au FN de rendre à la Banque de France le pouvoir de créer de la monnaie et de «monétiser» la dette. C'est donc la planche à billets qui viendrait éponger une large partie de la dette. Et provoquer une inflation galopante et la dévaluation immédiate du Franc Le Pen.
Car cette planche à billets marcherait à fond sous Marine Le Pen qui prévoit une monétisation de la dette à hauteur de 100 milliards d'euros par an, une fois la France sortie de la monnaie européenne. La somme est colossale. La candidate frontiste veut aussi que la dette française change de propriétaire et – sans surprise – qu'elle quitte les mains étrangères pour revenir aux seuls épargnants français !
Ses mesures prévoient donc avant tout un changement de nature de la dette, mais pas un modèle économique alternatif et novateur. D'ailleurs, Marine Le Pen souhaite revenir à l'époque pré-1973, date à laquelle Giscard avait mis fin, dans le cadre des accords européens et de la création du système monétaire européen, au droit de la Banque de France à émettre sans limites des titres de dette...
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3ème contre-argumentaire: Le Front National et l'Etat fort
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L'Etat, l'Etat, toujours et encore l'Etat. «Totalement désarmée par trente d’ans d’inaction et de reculades face à la mondialisation, la France doit revenir dans le jeu des Nations, dit le programme du FN. C’est naturellement l’Etat qui sera le fer de lance de ce réarmement de la France : un Etat fort capable d’imposer son autorité aux puissances d’argent, aux communautarismes et aux féodalités locales.»
- Un Etat seul, coupé de l'Union européenne
L'«Etat fort» prôné par le FN doit réindustrialiser le pays, stimuler la recherche, lutter contre la spéculation financière. Mais c'est surtout un Etat seul, coupé de l'Union européenne et en guerre contre ses collectivités locales, présentées comme autant de «féodalités» à remettre au pas. Régions et départements ne pourraient plus prétendre agir au nom de l'intérêt général (suppression de la clause générale de compétences) et verraient leurs dotations réduites, une proposition ubuesque alors même que l'Etat ne compense déjà pas les dizaines de millions d'euros qu'il leur doit au titre de l'aide sociale à l'enfance, aux personnes âgées, aux handicapés et à l'insertion (RSA).
Le FN souhaite arrêter la RGPP et la règle «aveugle» du non-remplacement d'un fonctionnaire partant à la retraite sur deux, mais ne s'engage pas à arrêter la réduction du nombre de fonctionnaires, affirmant juste son intention de «sanctuariser» les effectifs de la police et de l'armée. Pour réduire les dépenses publiques, le FN prône des économies dans les ministères... et la généralisation d'Internet.
- Une «rationalisation des services publics marchands» sans chiffrage
Sans en préciser ni les modalités, ni le coût estimé, ni les financements correspondants, le FN évoque une «modernisation et rationalisation des services publics marchands» (cela vise donc sans le dire la SNCF, la RATP, etc.), la «garantie de la continuité territoriale» des services publics, la «remunicipalisation» de l'eau – un processus que des mairies ont déjà amorcé.
- «Recruter des hauts fonctionnaires patriotes»
Mais une fois de plus, le diable se niche dans les détails. En l'occurrence, dans deux petites phrases. «Dans le cycle de formation des fonctionnaires des trois fonctions publiques, l’accent sera porté sur le sens de l’Etat et le patriotisme.» Et : «L’Ecole Nationale d’Administration (ENA) veillera en particulier à recruter des hauts fonctionnaires patriotes.»
L'Etat fort de Marine Le Pen passera donc aussi par un lavage de cerveau nationaliste.
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4ème contre-argumentaire: Le Front National, l'économie et le social
Contre le Fnational vous propose des contres-argumentaires vous permettant de comprendre un peu mieux le fond du programme de Mme Le Pen. 20 fiches techniques vous permettant de décrypter tout ce qui se dit, tous les mensonges, toutes les inepties.
Ne pas chercher de cohérence idéologique dans le programme économique du FN. Il n'y en a aucune. Ce programme est une sorte de monstre à plusieurs têtes, alliant analyses, slogans et références de gauche, rengaines économiques portées par une partie de la droite et de l'extrême droite depuis des décennies, le tout nappé de la sacro-sainte préférence nationale (rebaptisée «priorité nationale»), bien présente même si le FN ne la place plus en tête de gondole.
- Accents de gauche
Car pour cette campagne, le FN la joue social. Dans de longs développements (qui ne font bien souvent que ressasser des statistiques archi-connues, mais au moins le FN cite-t-il des chiffres justes, au contraire de Nicolas Sarkozy), le FN multiplie les propositions glanées à la gauche de l'échiquier politique. D'autres empruntent carrément à la rhétorique, éculée mais toujours efficace, du pot de terre contre le pot de fer.
Le FN promet ainsi de traiter le chômage en réindustrialisant le pays, en soutenant les PME, en réformant la formation professionnelle. Il propose d'indexer les salaires sur l'inflation, avance plusieurs modifications fiscales (progressivité de l’impôt, suppression de niches fiscales, hausse des impôts pour les sociétés du Cac 40, TVA majorée sur les produits de luxe), la taxation des délocalisations des services, le renforcement du petit commerce face à la grande distribution et dans les zones rurales, ou encore l'encadrement des prix du gaz, de l’électricité et des produits de base.
Des idées dont il est difficile d'apprécier la portée, puisque aucune n'est assez détaillée ni chiffrée.
Le FN ne craint pas, pour tancer la réforme des retraites de Nicolas Sarkozy, d'en dénoncer le caractère «inefficace et injuste» : précisément la formule sur laquelle s'étaient accordés les syndicats à l'automne 2010. A cette époque pourtant, le FN n'avait guère été en tête de la mobilisation. Il promet un retour à 40 ans d'annuités pour une retraite à taux plein (contre 41,5 ans aujourd'hui) et un retour «progressif» à l’âge légal à 60 ans, sans indiquer néanmoins les modalités de ce retour et la façon il sera financé. L'important est ailleurs : avec cette proposition, le FN se démarque de Nicolas Sarkozy, de François Hollande dont la position sur le sujet n'est pas très claire, mais aussi du Front de gauche qui prône un retour immédiat à l'âgé légal à 60 ans. Se démarquer avant tout dans l'offre politique, voilà bien la priorité.
- La préférence nationale pour les prestations sociales, le logement et l'emploi
Malgré les fanfreluches “pour faire de gauche” qui parsèment son programme économique, le FN prône avant tout une France du repli sur soi et de l'autarcie, y compris en matière économique. L'air de rien, le programme du parti affirme que la préférence nationale serait introduite pour les prestations sociales, l'accès au logement et à l'emploi, ce qui en pratique signifie priver de droits élémentaires les 3,5 millions d'étrangers qui vivent en France.
Concernant le logement social, «seules les personnes qui peuvent légitimement y prétendre pourront conserver» leur habitation : il faut donc comprendre, même si ce n'est pas dit, que les autres seront expulsés de chez eux. Le minimum vieillesse serait également réservé aux Français, et supprimé pour les étrangers qui ne vivent pas en France et/ou y ont travaillé moins de 10 ans. Une rupture totale avec l'esprit des lois de Sécurité sociale de 1945.
Le FN décrit un scénario économique post-présidentielle simplissime : la France sort de l'euro, se débarrasse de toutes les règles commerciales en vigueur dans l'Union européenne, a tout loisir de faire marcher la planche à billets. Ainsi, elle relance son économie, via une «réindustrialisation» «planifi[ée] par l'Etat». Rien de plus simple, et tant pis si la sortie de l'euro risque (entre autres) de provoquer une très grave récession et de relancer une concurrence économique effrénée avec nos voisins européens.
«Des droits de douane ciblés et quotas d’importation» seraient imposés à la Chine et aux pays de l'Est. Ces taxes aux frontières, dont le montant n'est nulle part évalué, serviraient à leur tour à financer certaines politiques publiques comme la dépendance. Une loi «Achetons français» «favorisera toutes les productions françaises, y compris au niveau très local», «dans le domaine de l’artisanat de l’industrie ou de l’agriculture». Pourtant, il est en réalité très difficile de dire ce qu'est un produit français, sans compter qu'une telle labellisation ne pourra pas à elle seule relancer la machine économique…
- Rhétorique ultralibérale et priorité aux petits patrons
Paré de plumes sociales, franchement nationaliste, le programme du FN intègre enfin des grands classiques de la rhétorique ultralibérale qui imprègne la doctrine économique du FN depuis sa création au début des années 1970 : la défense des petites entreprises et des artisans étranglés par les charges et les procédures administratives («Les PME/PMI d'abord !», répète Marine Le Pen), l'apprentissage à 14 ans – une vieille marotte de la droite, que Dominique de Villepin avait en son temps tenté de relancer –, le durcissement des sanctions envers les chômeurs.
C'est aussi en fidélité à cette tradition que le FN souhaite rendre possible les dérogations aux 35 heures, tout en affirmant que ces renégociations ne peuvent déboucher que sur des hausses de salaires – une pierre dans le jardin de Nicolas Sarkozy et de ses «accords compétitivité emploi», qui ouvriraient la voie à des baisses de salaire.
- Haro contre les syndicats
Bien évidemment, les syndicats de salariés ne sont pas épargnés. Marine Le Pen les accuse régulièrement de «dealer avec le gouvernement» (exemple en vidéo ici). Le FN souhaite des organisations professionnelles qui font moins grève et manifestent moins. Par ailleurs, le «monopole de représentativité institué après la Libération sera supprimé». En réalité, c'est déjà le cas depuis 2008, et la liste des syndicats représentatifs doit être remis à jour en 2013 sur la base des élections professionnelles des années passées.
- Suppression de l'ISF et instauration d'une TVA sociale déguisée
Enfin, sous couvert de simplifier, «d’optimiser et de rendre plus juste» le système fiscal, le FN souhaite aussi supprimer l'ISF et instaurer une «contribution sociale aux importations». Il s'agit en réalité d'une TVA sociale comme le préconise Nicolas Sarkozy, avec une hausse de TVA de 3% sur les biens importés. Cette taxe s'accompagnerait d'une baisse des cotisations salariales qui permettra, promet le FN, «d’augmenter de 200 euros net les rémunérations des salaires jusqu’à 1,4 fois le SMIC». Reste à savoir comment faire pour cibler les produits importés car bien des produits "made in France" contiennent en réalité des pièces ou des éléments importés.
La réalité économique est malheureusement un peu plus complexe que le monde fantasmatique décrit par Mme Le Pen.
Réalisé conjointement avec Mediapart.
5ème contre-argumentaire: Le Front National et l'agriculture...
Contre le Fnational vous propose des contres-argumentaires vous permettant de comprendre un peu mieux le fond du programme de Mme Le Pen. 20 fiches techniques vous permettant de décrypter tout ce qui se dit, tous les mensonges, toutes les inepties.
Il faut lire le projet de Marine Le Pen à destination des agriculteurs comme un exemple type de ce que la politique peut produire de stupide et néfaste.
L'agriculture française a cette double particularité : elle est fortement mondialisée et massivement subventionnée. Véritable machine à exporter, elle est aussi une pompe aspirante à subventions... européennes. C'est dire combien apparaît cocasse et farfelu le projet du Front national envers ce secteur qui, depuis un demi-siècle, s'est tout entier construit et restructuré en fonction des politiques européennes et des marchés mondiaux.
Sortie de l'euro, sortie de l'Union européenne : la conséquence, d'une clarté aveuglante, est la ruine immédiate de l'intégralité de ce secteur économique. Nul doute que la quasi-totalité des préfectures d'un Front national au pouvoir seraient en l'espace de quelques mois occupées, prises d'assaut, brûlées...
Il faut donc lire le projet de Marine Le Pen à destination des agriculteurs comme un exemple type de ce que la politique peut produire de stupide et néfaste. Voilà un ahurissant slogan, tout d'abord : «La France abandonnera la PAC au bénéfice de la PAF (Politique agricole française).»
Cette politique agricole commune verse aujourd'hui aux agriculteurs français un peu plus de 10 milliards d'euros de subventions. La France contribue en effet à hauteur de 21 milliards au budget européen et reçoit en retour environ 15 milliards, donc, pour l'essentiel, des aides agricoles. «La France devra en venir durablement à une politique agricole nationale», dit le programme du Front national.
Comment la financer ? En récupérant le budget français versé aujourd'hui à l'Europe, est-il écrit, ce qui suppose donc bien de détruire l'intégralité de la construction européenne, et ce qui ne suffirait pas pour autant (puisque le solde français au budget européen est aujourd'hui de 6 milliards d'euros). Le Front national cite en modèle d'«agriculture nationale» la Norvège, oubliant au passage le choix fait de longue date par ce pays de financer par la rente pétrolière ce secteur.
Privée de subventions, l'agriculture serait achevée par la sortie de l'euro, avec un retour au franc accompagné d'une dévaluation de 20%, le retour de droits de douanes et de barrières tarifaires aux frontières. Outre l'augmentation insupportable des importations nécessaires à l'agro-business industriel, outre la violation de toutes les règles de l'OMC (sauf à sortir également de l'OMC), les capacités d'exportation du secteur seraient détruites.
Autre plaisanterie avancée dans ce programme : «la stabilisation des prix des matières premières agricoles». Ce que le G-8 et le G-20 ne parviennent pas à faire depuis des années, vu la sophistication de marchés hautement spéculatifs sur ces matières premières, Marine Le Pen et ses petits bras musclés y parviendraient... On aimerait savoir comment : ce n'est pas précisé.
Autre arme magique brandie par le FN : «la réduction de la bureaucratie agricole et la simplification des procédures et des contrôles qui permettront de faire des économies budgétaires». Mais dans le même temps, le programme annonce la création d'une demi-douzaine de nouvelles instances et administrations de contrôles, de régulation, de subventions, d'aides et subventions...
«Le patriotisme agricole sera la règle, dans le but de garantir l’intérêt stratégique vital que constitue l’indépendance alimentaire de la France», affirme donc le programme. Les puissants syndicats agricoles ne s'y trompent pas qui, tous, même s'ils le font plus ou moins bruyamment, dénoncent un tel projet. L'exercice n'est pas facile puisque Marine Le Pen, selon plusieurs enquêtes d'opinion, bénéficie d'une bonne image chez les agriculteurs (juste après Nicolas Sarkozy). Mais le premier des syndicats, la FNSEA, a commencé à sonner la charge.
«Nous sommes européens et nous voulons le rester, a déclaré Xavier Beulin, le président de la FNSEA, il faut cesser de stigmatiser une politique européenne par quelques clichés. Nous avons des requêtes mais ne crachons pas dans la soupe.» Depuis des années, la hantise principale des grands syndicats agricoles est justement de voir la politique agricole commune réduite, et les subventions fortement baissées à l'occasion des renégociations en cours depuis des mois et qui doivent aboutir fin 2013.
Car la France, dans ce secteur aussi, s'est fait doubler ces dernières années. Elle était historiquement le premier pays agricole en Europe et premier exportateur. Elle vient de se faire doubler par l'Allemagne et les Pays-Bas qui ont su mieux s'adapter aux marchés européens et mondiaux et développer des secteurs bios beaucoup plus puissants.
Réalisé conjointement avec Mediapart.